Pour le contrôle technique 2RM : où en sommes-nous ?
Pol Grasland-Mongrain, connu pour sa défense du contrôle technique moto (PolGM1), propose une synthèse des arguments qu’il développe en réponse aux objections les plus courantes émises par ses opposants. Nous sommes convaincus que tous ceux qui sont confrontés à leur mauvaise foi y trouveront une base de référence utile.
Il a beaucoup été question du contrôle technique (CT) pour les deux-roues motorisés (2RM) ces dernières semaines, à la suite de l’annulation illégale par le gouvernement du décret mettant en place ce dispositif fin juillet. Cette annulation est dommageable à la fois pour la population, pour l’environnement et pour les motards eux-mêmes.
Comme ont été présentés beaucoup de chiffres, de déclarations et de désinformation sur le sujet, faisons le point. Notons tout d’abord que le contrôle technique pour les 2RM est en place dans la plupart des pays européens depuis de nombreuses années. Après un historique rapide, nous allons passer au crible les arguments en présence, en particulier ceux des associations de motards.
Historique rapide
En 2007, le ministère des transports a produit un rapport très détaillé sur les conditions de mise en place d’un contrôle technique pour tous les deux roues motorisés (rapport “Lebrun”). Plusieurs tentatives de mise en place se sont soldées par un recul du gouvernement.
La directive européenne de 2014 imposait de mettre en place soit un contrôle technique pour les deux-roues motorisés de +125 cm3, soit d’instaurer des mesures alternatives d’amélioration de la sécurité routière pour les motards ; et ce au plus tard le 1er janvier 2022.
La France a pris le parti, par un décret en août 2021, de mettre en place un contrôle technique applicable à tous les deux-roues motorisés dès 50 cm3 (allant donc plus loin que ce que demandait l’Union Européenne). Dans ce même décret, le gouvernement repoussait sa mise en place au 1er janvier 2023 – ce que le Conseil d’Etat a jugé illégal à la fois sur la forme et sur le fond (recours engagés par les associations Ras Le Scoot, Respire et Paris sans voiture). Puis, par le décret du 25 juillet 2022, le gouvernement a purement et simplement supprimé cette mesure, sans alternative, en infraction manifeste à ses propres engagements et à la directive européenne.
Au 1er août 2022, des recours ont été lancés, et, bien que confiants sur leur issue, nous n’avons pas encore le fin mot de cette affaire.
Discussion sur les arguments
Cet article va souvent citer le rapport Lebrun intitulé “Les conditions de mise en place d’un contrôle technique des deux-roues motorisés”.
Rappelons d’abord que le contrôle technique des deux-roues motorisés vise à répondre à trois grands enjeux :
- l’accidentologie
- la protection de l’environnement (tant bruit que pollution)
- la protection du consommateur sur le marché d’occasion
Extrait du rapport Lebrun sur la mise en place du contrôle technique moto
Discutons les arguments des associations motardes et autres organismes pro-motards concernant le contrôle technique des deux-roues motorisés.
“Les motards entretiennent tous parfaitement leur véhicule”
Extrait d’un courrier de la Fédération Française de Motocyclisme, cité dans le rapport Lebrun sur la mise en place du contrôle technique moto
Cet argument est tout simplement faux.
Regardons par exemple en Suisse. Ce pays est assez riche, réputé respectueux des lois et a mis en place un contrôle technique moto il y a 90 ans. Malgré cela, 15 % de motos qui passent le contrôle technique chaque année présentent des défauts majeurs nécessitant contre-visite.
En Espagne, qui a mis en place le contrôle technique plus récemment, on est entre 20 et 25 %. Il faudrait vraiment être de mauvaise foi pour imaginer qu’en France, ce taux soit inférieur.
Infographie sur la part de deux-roues motorisées présentant des défauts majeurs lors du contrôle technique en Suisse, par PolGM1
Par ailleurs, même la Fédération Française de Motocyclisme le reconnaît : pour certains calibres du véhicule, le défaut d’entretien peut être très problématique.
Suite de l’extrait du rapport de la Fédération Française de Motocyclisme
Mais les associations moto savent que si on oblige les cyclomoteurs/scooters à passer le contrôle technique, pour lutter contre le défaut d’entretien, la position anti-contrôle technique des motos va devenir intenable.
“Ca ne changera rien au débridage, il suffira de remettre la chicane juste le temps du contrôle”
Un des fléaux des 2RM est le retrait de la chicane du pot, qui a pour effet d’augmenter la pollution et le bruit du véhicule. Le véhicule sans chicane ne respectant plus les normes, il ne passerait plus le contrôle technique. Les motards rétorquent qu’il suffirait alors de remettre la chicane le temps du contrôle.
Comme pour l’argument ci-dessus, tous les possesseurs de véhicule ne feront pas forcément la manipulation (par manque de connaissance en mécanique, par paresse, par crainte de perdre la chicane, etc.). Et surtout, même les associations moto reconnaissent que cela aurait une certaine efficacité :
Suite de l’extrait du rapport de la Fédération Française de Motocyclisme
“Une part infime des accidents de 2RM est due à un problème technique”
Cette citation est parfois accompagnée soit du chiffre “0,3% ” du rapport MAIDS, soit “0,4% ” du rapport de la Mutelle des Motards.
L’étude MAIDS
Communiqué de la FFMC
Le rapport MAIDS, publié en 2005 et commandé par l’Association Européenne des Fabricants de Motos (ACEM), présente une étude menée sur environ 1000 accidents de la route impliquant des 2RM.
Il conclut que dans 5 % des accidents, un problème technique a contribué à l’accident, et dans 0,3 % des cas, c’est LE facteur principal.
Extrait du rapport MAIDS (2005), page 40-41
Garder le chiffre de 0,3 % n’est donc déjà pas très honnête ; mais le principal problème, c’est que la majorité des accidents analysés ont eu lieu dans des pays où le contrôle technique moto était obligatoire ! Sortir ce chiffre pour dire que le contrôle technique moto ne servirait à rien relève donc de l’enfumage…
Si l’on était taquins, on pourrait même remarquer que les défauts d’entretien des routes, que la FFMC prétend “bien plus dangereux”, ne représentent que 3,6 % de l’ensemble des facteurs ayant contribué à l’accident…
Extrait du rapport MAIDS (2005), page 37
Le rapport de la Mutuelle des Motards
La Mutuelle des Motards a également publié un argumentaire, s’appuyant sur leur base de données qui ferait ressortir, entre 2016 et 2020, que 97,64 % des accidents ont concerné un 2RM dans un état noté bon ou normal, et 0,4 % dans un état noté dangereux. Il est conclu qu’une fraction infime des accidents de la route impliquant un 2RM est due à un problème technique.
Argumentaire anti-contrôle technique 2RM de la Mutuelle des Motards (page 1)
Passons sur les 2 % restants (dans quel état étaient les véhicules ? Ce n’est pas précisé). Passons aussi sur le fait que dans le point suivant, la Mutuelle des Motards a analysé d’autres accidents sur une période de 11 ans (pourquoi ne pas prendre les mêmes accidents ? Les résultats ne seraient-ils pas les mêmes ?).
Le problème ici est le biais de sélection : même si le chiffre initial est vrai, on NE PEUT PAS conclure que seuls 0,4 % des accidents de 2RM sont dus à un problème technique
Pour être assuré à la Mutuelle des Motards, il faut avoir un véhicule en bon état, et avoir les moyens. Une moto trafiquée ou délabrée, une personne avec peu de moyens financiers ? Le véhicule n’y sera pas assuré, donc pas compris dans la base.
De même, une fois assuré, si un motard a un accident, il ne fera pas forcément une déclaration à l’assurance, surtout si le montant des réparations est inférieur à la franchise, s’il a une simple responsabilité civile et que l’accident est sans tiers, etc.
Enfin, en cas d’accident déclaré, il y a un calcul économique : combien coûte une expertise détaillée vs combien coûte l’indemnisation ? Sachant qu’avec la responsabilité civile, les tiers devront être indemnisés quels que soient la faute ou l’état du véhicule.
Et la plupart du temps, le coût d’expertise est trop élevé – sans parler de la réputation de mauvais payeur qui peut s’ensuivre. Donc sauf problème technique manifeste, il est plus simple de noter « état du véhicule bon ou normal » dans la base.
Donc dans les 0,4 %, il ne reste que des véhicules que la Mutuelle des Motards a assurés, à la base en bon état, qui ont eu un accident grave, et dont le problème technique est suffisamment facile à voir. Ce chiffre n’est donc PAS représentatif de l’ensemble du parc 2RM ni même des accidents de 2RM.
Enfin, comme la base de données n’est pas publique, et que le rapport n’a pas été publié dans une revue scientifique – ce qui aurait supposé sa validation par des experts indépendants -, on est obligé de croire la Mutuelle des Motards sur parole. Sauf que dans ce même rapport (2 pages), la Mutuelle se félicite de la baisse de mortalité chez les motards entre 2010 et 2020. Et ça, ce n’est ni rigoureux, ni honnête : en 2020, il y a eu un confinement donc beaucoup moins d’accidents ! De quoi jeter le doute le reste du rapport !
Extrait de l’argumentaire anti-contrôle technique 2RM de la Mutuelle des Motards (page 2)
“C’est trop cher, les motards ne peuvent pas se le permettre”
Dans les autres pays européens, le contrôle technique moto coûte entre 10 et 40 euros (13 à 53 euros inflation corrigée), soit le coût d’un plein, 4 ans après la mise en circulation, puis tous les 2 ans. Cela ne représente que quelques pourcents du coût d’achat de la moto (plusieurs milliers d’euros).
Coût du contrôle technique moto en Europe selon le pays, en 2007 (extrait du rapport Lebrun)
Certaines associations moto essaient de faire croire aux motards que le contrôle technique leur coûterait jusqu’à 80 euros. Ce chiffre est invraisemblable, car cela serait plus cher que le contrôle technique voiture, qui exige la vérification de bien davantage d’éléments…
Extrait du rapport Lebrun, qui préconise un montant maximal de 30 €
Ceci est à mettre en regard avec les problèmes des véhicules d’occasion, non contrôlés, qui peuvent donner lieu à des amendes voire provoquer des accidents.
En fait, ce n’est pas tant le coût du contrôle technique que craignent les motards que le prix des réparations éventuelles et du changement de matériel qu’il risquerait d’entraîner.
Et c’est précisément le but du contrôle technique que d’éviter la circulation des véhicules étant sources de problèmes…
“Il vaut mieux verbaliser plutôt que mettre en place le contrôle technique”
Cet argument présente un faux dilemme : la mise en place du contrôle technique n’empêche pas de verbaliser… Et surtout, les motards savent pertinemment que la verbalisation est quasi inexistante. Ainsi, le nombre de verbalisations pour bruit gênant par véhicule à moteur est très faible, et accuse même une diminution chaque année.
Infographie basée sur le récapitulatif de l’ensemble des infractions au code de la route recensées en 2019, par PolGM1
La mise en place des radars antibruits (dits radars méduses) ne changerait pas grand-chose à ce constat. On est actuellement en phase d’expérimentation, donc sans verbalisation, et l’on compte actuellement… 8 radars pour toute la France. Même pas une goutte d’eau dans l’océan.
Cette impunité, les motards la connaissent très bien pour en profiter depuis des années.
“C’est une mesure financière dictée par les lobbys”
Extrait d’un article de la Mutuelle des Motards sur son site (octobre 2021)
Conclusion du courrier de la CNPA (aujourd’hui Mobilians), branche 2 roues, au ministère des transports (rapport Lebrun)
Cet argument, particulièrement douteux, découle souvent de montants peu crédibles. En France, si on part du principe que le contrôle technique 2RM coûte environ 50 euros, et qu’en moyenne un tiers du parc motorisé (sur un total d’environ 3,5 millions de 2RM) est contrôlé chaque année, cela donne un marché d’environ 60 millions d’euros. Le chiffre de la Mutuelle des Motards est 25 à 30 fois plus élevé…
Par ailleurs, ce n’est pas un simple comité qui est en faveur de la mise en place du contrôle technique 2RM, mais de nombreux organismes, dont une branche du CNPA, les moto-écoles, les constructeurs français et représentants français des constructeurs étrangers de motos, des syndicats de transports, des associations d’usagers, des associations œuvrant pour la sécurité routière, etc.
“On préfère des contrôles volontaires, gratuits et réalisés par la police”
Conclusion du courrier de la Fédération Française de Motocyclisme au ministère des transports
Cette proposition alternative au contrôle technique, sortie par la Fédération Française de Motocyclisme, doit être tenue pour absurde. Aucun possesseur de 2RM trafiqué ou défectueux ne va aller prendre le temps de faire contrôler son véhicule. Aucune raison ne justifie que ce soit financé sur des fonds publics. Et enfin, les forces de police ont beaucoup d’autres missions que de servir de garagistes aux motards…
Encore une fois, l’argument flaire bon l’enfumage.
“Les motards auront des difficultés à coller un autocollant “contrôle technique” sur leur véhicule”
Argumentaire du CNPA (aujourd’hui Mobilians), branche 2RM, contre le contrôle Technique (rapport Lebrun)
Il nous paraît bien peu utile de prendre le temps de contrer cet argument ridicule, mais si les organismes anti-contrôle technique sont réduits à avancer de tels arguments ineptes pour convaincre, c’est qu’ils se savent en difficulté…
Ils savent d’ailleurs que peu importe le manque de pertinence de ces arguments, les personnes hostiles à la mesure les diffuseront sans creuser, alors que leur débunkage prendra bien plus d’énergie qu’il n’en a fallu à les énoncer.
En fin de compte, que reste-t-il de ces arguments ?
Pas grand-chose. Il est d’ailleurs remarquable que les quelques organismes hostiles à la mesure se concentrent sur les effets potentiels sur l’accidentologie – élément sur lequel il est objectivement difficile de mesurer rigoureusement les effets (ou l’absence d’effet) du contrôle technique -, mentionnent à peine la protection de l’environnement (bruit, pollution), et n’évoquent pas du tout la protection du consommateurs.
Or, tous les motards qui achètent un 2RM d’occasion seraient gagnants avec cette mesure, qui leur procurerait l’assurance d’acheter un véhicule en bon état, vérifié en profondeur par les soins d’un professionnel. Cela serait même rentable financièrement, en permettant d’éviter d’éventuelles réparations coûteuses pour des défauts non détectés lors de la vente ou des amendes pour non-conformité.
Extrait d’un article du Parisien (“Circulation : Paris s’attaque au bruit des deux-roues”, sept 2019)
Article Ras Le Scoot rédigé par Pol Grasland-Mongrain @PolGM1